Cap au sud
Manzanillo est tout au sud de la côte Caraïbe, presque au Panama. Ça donne une idée de l’isolement du lieu. Ça donne aussi une idée du périple pour le rejoindre, à plus forte raison depuis Tortugero.
Mais la mécanique bien rodée du jonglage, option bus et transports bondés, tourne comme une horloge. Après un bateau et 2 cars, j’atteins déjà Puerto Limón, principal port commercial de la côte Caraïbe. De là, Manzanillo est direct, du moins si le bus va bien au bout de la route. Parce qu’avant ça il y a Puero Viejo, LE point de chute pour qui veut faire la fête. Pour ma part, je vise la réserve Gandoca-Manzanillo qui, à la différence d’un parc national, est en accès libre et gratuit, un joli terrain de jeu en perspective…
Le bout de la route est atteint à la tombée de la nuit. Mais sans réservation et une vague adresse en tête (bien sûr fermée) c’est la bonne étoile qui continue de briller. En l’occurrence, c’est un tico qui m’indique avec un grand sourire une hostal planquée…devant l’arrêt de bus, c’te blague. L’hostal en question est la Caricako, un petit paradis planqué dans un jardin au fond d’une allée. Et le jardin est plein de geckos et d’Anolis, le pied.
Étant le seul client, je me retrouve avec tout le dortoir pour moi tout seul. Je dispose donc d’une bonne base d’exploration pour la semaine à venir.
Un terrain de jeu sans limite
Ce coin est un paradis pour le naturaliste. On peut commencer par citer les récifs coralliens en bord de plage, elle-même à 50m de l’hostel. Une session snorkeling au réveil (voire même au lever du soleil) avant même d’aller prendre le petit déj n’a rien d’aberrant ici…
Mais le pied, c’est la réserve Gandoca-Manzanillo. Cette zone protégée de près de 4 000 ha a le statut de « Refugio Natural de vida silvestre » et diffère d’un parc national par le fait que 1.Il y a des habitations dans le périmètre et 2.L’accès est libre, pas de droit d’entrée, exploration à volonté
Avec ce décor, à une semaine du retour, je veux à la fois profiter à fond du lieu, explorer la jungle et trouver quelques bestioles emblématiques. Mais plus que tout, je veux continuer à vivre avec cet état d’esprit acquis il y a déjà des mois. Je suis libre de choisir de faire ou de ne pas faire, osciller entre crapahutage dans la forêt, snorkeling sur tous les spots du coin et sieste dans le hamac de l’hostal, pas de programme.
Une to-see list à compléter

Si je ne cours pas après la coche (à savoir l’observation d’un max de bestioles, peu importe le temps, l’énergie et l’argent consacré), il y a encore 2-3 espèces que je veux absolument voir avant de revenir vers des climats plus tempérés. Chez les amphibiens, il y a la fameuse Blue-jeans frog, loupée à Tortugero.
Heureusement, la réserve tient du cas d’école pour rechercher cette espèce. Il est facile de sortir du village pour y entrer, mais il faut longer la côte sur quelques kilomètres et laisser les plages fréquentées pour aborder des secteurs plus sauvages. Après avoir passé Punta Manzanillo, les singes hurleurs deviennent plus fréquents que les humains, sans doute à cause du chemin de moins en moins praticable.
C’est à ce moment que je commence à entendre des petits cris d’amphibiens en bordure du chemin. Comme un fou, je scrute chaque cm² de végétation pour en trouver la source. Pendant 10 minutes de recherche acharnée, les cris continuent, et je tombe finalement sur la bête : une toute petite Blue-jean frog de 2 cm, toute rouge. Cette coloration est en fait spécifique aux populations de basse altitude. Pour faire simple, la Blue-jean frog perd son pantalon près de la mer.

Excité comme un gosse le 24 décembre après cette observation, je m’aperçois rapidement que cette espèce est en fait des plus communes en voyant le nombre d’individus fuir à mon arrivée augmenter au fur et à mesure que je me rapproche de Punta Mona.
Omar le grand, Omar le meilleur
Par contre malgré des prospections acharnées depuis l’Équateur, il y a un petit lutin de la jungle qui m’échappe encore : la Vipère de Schleglel, Botriechis schlegelii pour les intimes. Ce serpent est la star des herpétologues de passage au Costa-Rica. Arboricole, petite (40-70 cm) elle est connue pour revêtir des robes aussi variées que magnifiques. Du vert vif au le jaune d’or il existe tous les intermédiaires : vert tacheté de marron/orange/rouge, marron avec des marbrures rosées, jaune pâle presque blanc… Le hic c’est qu’elle est on ne peut plus discrète, et la dénicher relève de la performance olympique pour un petit herpétologue européen plus habitué à fouiller les ronciers au sol que la forêt à 360°.
Heureusement, dans ce pays de l’écotourisme, les guides naturalistes sont nombreux, même dans un petit village comme Manzanillo. Parmi eux, le meilleur, le plus cool, celui qui devient ton pote en 5 minutes, c’est Omar ! Ce grand bonhomme incarne à lui seul l’expression pura vida avec ses dreadlocks, son sourire permanent, et sa flexibilité sur les horaires… Mais il est surtout un naturaliste de compétition et un puits de science. Il a personnellement observé 700 des 900 espèces d’oiseaux du Costa-Rica et connait tout leurs chants. Et dans mon cas, il peut te repérer une Botriechis à 5m dans un arbre.
Notre session terrain commence à 7h. Nous somme 3 avec Omar et un voyageur québécois, habitué de Manzanillo. La balade commence avec un topo sur l’origine du nom de Manzanillo, qui vient d’une variété de pommier hautement toxique, lequel produit des fruits mortels pour l’homme et une sève un poil moins dangereuse. A la sortie du village 200 m plus loin, il nous pointe un arbre dans lequel se trouve un paresseux. J’ai beau être passé plusieurs fois devant cet arbre ces 4 derniers jours, c’est Omar qui trouve cette masse de poils parfaitement immobile à 15 m de hauteur.
La matinée est plus une balade entre potes qu’autre chose. Avec Omar, on observe 3 fois plus d’animaux en 4h que seul en 4 jours. C’est après avoir quitté le sentier pour s’enfoncer dans la jungle que finalement, il la déniche : une petite Botriechis schlegelii enroulée autour d’une liane. Perso il me faudra 5 bonnes minutes pour la trouver, mais elle est là, enfin. Enroulée sur elle-même et pas plus grosse que la moitié de mon poing, elle se font parfaitement dans la végétation.

En poursuivant les prospections, on trouve 5 autres vipères, toutes contre des troncs d’arbre et de coloration tantôt marron/rosé ou jaune pâle. C’est l’occasion de sessions photos prolongées, je m’éclate. Mais surtout, Omar m’apprend à rechercher les reptiles en milieu tropical, adopter une autre regard, changer mes habitudes européennes.
Outre cette petite merveille, Omar nous fait découvrir d’autre trésors, oiseaux, autres reptiles, bullet-Ant (la fameuse fourmi aussi douloureuse qu’une balle de fusil), blue-jean frogs à foison… La plus notable de ces obs reste malgré tout un autre serpent, Oxybelis aeneus, un serpent liane spécialisé dans le bluff. Pour faire peur, elle ouvre grand la gueule en faisant mine d’attaquer, alors qu’elle est inoffensive, mais ça marche sur un prédateur.

Le soir, sur conseils d’Omar, je pars en prospection nocturne pour chercher la fameuse Rainette aux yeux rouge, qui est un peu l’amphibien national du Costa-Rica. D’après mon nouveau maitre en herpéto tropicale, il suffit de la chercher sur de larges feuilles près des habitations. Et c’est là, entre la lisière de la selva et la bordure du village, que je finis par trouver un magnifique individu, juste après une Smilisca phaeota.

Rester dans le bain
Mais voilà que le retour approche. Dans 3 jours, ce sont 3 avions et 14h de vol qui m’attendent. Je dois dire que je suis partagé. D’un côté j’ai hâte de voir la tête de de la famille et des potes en me voyant débarquer avec quelques jours d’avance et ma barbe de 5 mois. Mais de l’autre, ma vie dans quelques mois est quelque chose d’encore flou tellement je suis immergé dans le voyage. Mes repères, mes habitudes et mes priorités sont façonnés par ce quotidien qui n’en est pas un. Et honnêtement, je ne suis pas sûr de vouloir en changer.
Je profite donc à fond des Caraïbes pour rester immergé jusqu’au bout. Et justement, Manzanillo est aussi un petit paradis pour le snorkeling. A 20m de la plage, en un point bien connu des ticos, il y a un récif plein de vie marine. Si la visibilité est moindre qu’en Nouvelle-Calédonie, ça reste un régal pour les yeux. Je m’amuse comme une petit fou à évoluer dans ce relief sous-marin. En fouillant dans les anfractuosités de la roche, un mouvement m’arrête net : une petite Murène à gueule pavée vient de se planquer. Surexcité, je reprend mon souffle à la surface et repart guetter cette merveille. Je parviens à me stabiliser à sa hauteur alors qu’elle ressort la tête et me fixe prête à se planquer ou à me bouffer, dur à dire…
San Jose en coup de vent
Mais voilà, l’heure de revenir sur ses pas est arrivée. L’avion décolle dans 2 jours : un pour rejoindre San Jose (et une session shopping), et un d’attente à Alajuela. Ce samedi 3 juin 2017, en mettant un pied dans ce dernier bus, le retour commence et avancer devient alors plus difficile. Mais c’est là, pile sous cet arrêt de bus, à 50m de la mer des Caraïbes qu’une dernière miette du wifi de l’hostel m’apporte la nouvelle de mon poto Fab. Marianna est à la maternité, le travail a commencé et dans quelques (dizaines) heures leur têtard sera là. On dirait que j’ai une raison de plus de rentrer.
Autant le dire tout net, San Jose n’a rien de spectaculaire. Je filerai bien à Alajuela, mais je veux me faire une session shopping au mercado central avant de rentrer. M’étant retenu de charger mon sac outre mesure tout le long du trip, là c’est fuck off. Je veux ramener un hamac et du rhum (entre autres). J’arpente les rues de San José en prenant le pouls de la ville, histoire de savourer l’Amérique latine jusqu’à la dernière miette.
A Alajuela, je retrouve la confortable Maleku hostel et les deux bouquins laissés à l’arrivée. Le reste n’est qu’attente entre errance à écouter parler espagnol et à me gaver de fruits frais. Je profite également du climat tropical, avant de retrouver l’Europe tempérée.
Dernière soirée, dernière nuit. M’attendant à une nuit blanche entre excitation et appréhension c’est la surprise, je pionce comme un Loir, va savoir… Le lendemain, hasard des rencontres, ma voisine de dortoir, anglaise, rentre aussi en France par le même avion. Le petit plus qu’elle-même habite près de Limoges, est spécialiste des chauves-souris et connait des collègues naturalistes limousins ! Quel petit monde… De quoi bavarder pour la longue attente à venir.
Après un passage au duty free (d’où je ressors avec 2 bouteilles de rhum), nouveau message à 5 min de l’embarquement. La photo est explicite : Fab, Marianna et un petit être âgé de quelques heures : Louna. L’univers a un de ces sens du timing parfois…
La fête est finie
La suite est sans surprise : 14h d’avion, un arrêt kérosène en République Dominicaine et un petit déj copieux à Francfort. Mais voilà qu’apparaissent alors les Monts du Beaujolais. Je reconnais la Saône, le Rhône, Fourvière et la Part-Dieu. La vache, là, ça me fait quelque chose : un mélange d’impatience et de déchirement : mes potes sont là, en dessous; Ça fait 10 mois que je ne les ai pas vus. Mais en même temps, la fête est finie, et je vais remettre les pieds sur terre (ou du moins je le pense).
Atterrissage, premiers pas en France mais blocage à la sortie de l’aéroport : je ne veux pas sortir. Je veux rester blotti contre mon sac, ma maison, ma zone de confort ces 10 derniers mois. Je reste comme ça assis sur un banc pendant près de 2h, sans me décider à bouger. Finalement, sans trop savoir comment, je me lève, balance mes 18kg sur le dos et me dirige vers le Rhônexpress, direction le centre de Lyon. Il est 12h, j’ai une aprèm à tuer avant de surprendre Hélène et Vincent devant leur porte. Demain ça sera les nouveaux parents, puis Natouille, Cam et les parents. Ce voyage est fini, c’est la tournée des crises cardiaques qui commence…
Superbe tes photos de grenouilles ! j’adore ! Je vois que tu en as bien profité. Des bises depuis Grenoble
Jusqu’à la dernière miette ! Merci pour le petit retour, ça fait toujours plaisir !