Changement de voyage à La Mana
Après un nouveau gueuleton kilométrique, en ce 2 avril 2017, pour la première fois depuis le départ, je pose mes sacs. C’est prévu depuis 3 mois, je dois passer un mois au Jardin de los Sueños, chez Christophe, un français installé en Equateur depuis plusieurs années et qui a réussi à mener à bien son rêve de monter un lodge en autonomie et en pleine nature.
Pour situer le tout, on est proches de La Mana. Administrativement parlant, c’est la région du Cotopaxi, limite los Rios mais du point de vue biogéographique, c’est le Choco.
Pour faire simple le Choco, c’est une des régions naturelles les plus riche au monde. Cette bande calée entre le Pacifique et les Andes court de la frontière Panama/Colombie jusqu’au nord-ouest du Pérou. C’est une des régions les plus arrosées du monde grâce aux dépressions qui arrivent directement de l’océan pour buter sur la face ouest des Andes. A mi-chemin entre la plaine tropicale et la haute montagne, les influences climatiques et les espèces/milieux naturels se rencontrent et se mélangent pour donner un cocktail unique, un cocktail à 9 000 espèces de plantes, 270 de mammifères, 210 de reptiles, 130 d’amphibiens et 500 d’oiseaux… Du coup, en arrivant, je suis remonté en mode terrain++ activé. Avec 90 ha de réserve naturelle au Jardin de los Sueño, à l’intérieur desquels il y a 215 espèces d’oiseaux connues, 28 d’amphibiens et 54 de reptiles sans compter mammifères et invertébrés, c’est dire si le terrain de jeu est sans limites.
Mais étant habitué depuis 8 mois au changement, à des lits différents tous les 3 jours et à jongler avec les bus, la transition est brutale. Pendant un mois, je vais devoir mettre un réveil, avoir des horaires et un emploi du temps, compter les jours avant le vendredi, une routine en somme.
En arrivant, je découvre le cadre extraordinaire du site en même temps que mes collègues. La maison des volontaires donne une vue vers le sud où les montagnes et la plaine se rejoignent et d’où nos 500m d’altitude, on suit le mélange sur des kilomètres. Pour ce qui est de l’équipe, nous sommes 4 volontaires : Mahim qui vient d’Inde, William des Etats-Unis et Amélie, française.
Souffrance au réveil et routine hebdomadaire
Le lendemain, on est lundi et je renoue avec ce sentiment oublié de devoir s’arracher de l’oreiller avec toute la difficulté du monde. Certains diront que ça me prépare au retour, personnellement, j’ai envie de pleurer. Pendant mon séjour, cette demi-heure matinale où ma liberté s’est carapatée pour me laisser face à ma montre sera la pire de la journée. Le déroulement de ces débuts de journée est le même : 6:45 : Réveil et montée (500m à 10°) jusqu’à la maison commune => 7:20 Petit déj => 8:00 Au boulot !
Je découvre quel sera mon rôle pour ce mois. En ce premier jour je commence par mettre en place avec Christophe et Javier (un des deux équatoriens qui bossent avec nous) un piège pour attraper des lézards au niveau du sol, difficilement observables. Le principe est simple et reprend celui des barrières-pièges sur les sites de migration des crapauds communs : une bâche tendue en travers de la trajectoire des animaux pour les diriger vers des trous avec des seaux tous les 3 mètres, le tout relevé deux fois par jour.
Pour le reste de l’emploi du temps, les choses sont plus floues et ce sera ma principale erreur de ne pas mettre les choses au point immédiatement. Mahim et William ne sont pas naturalistes et leur travail ici consiste tantôt à participer à la construction d’un nouveau lodge avec Javier et Hernan, tantôt à travailler au potager ou à d’autres tâches courantes du site et, deux fois par semaine, à donner au village proche des cours d’anglais ou de basket.
Du coup, si je passe deux fois par jour sur les pièges et que j’en profite pour prospecter sur le chemin, le reste du temps je travaille aussi avec les autres, majoritairement sur la construction du nouveau lodge ou bien au jardin, même si je passerai bien toutes mes journées dans la réserve à chercher de la bête.
Deux fois plus d’espèces, mais deux fois plus difficiles à trouver…
Si le Pérou devait servir d’entrainement, l’Equateur était le gros morceau d’herpétologie tropicale. Avec des dizaines d’espèces, rien que sur ces 100ha, il y a plus de deux fois plus d’espèces de reptiles que dans toute l’Europe. Mais au-delà des chiffres, la pratique est d’un tout autre niveau que l’herpétologie européenne.
Si en France, on cherche généralement les reptiles au sol que ce soit à vue ou en soulevant des objets et le long de haies, ronciers et autres zones de transition, là ça se passe à 360°. Comme nombre d’espèces sont arboricoles, il faut chercher à la fois au sol et dans les arbres, dans les branches basses, le long du tronc, dans la canopée, etc… en gros partout, dans tous les sens. En ajoutant à ça le fait que pas mal d’espèces sont nocturnes, ça corse un peu le sport. Du coup, quand je prospecte, j’avance très lentement en essayant de scruter du mieux possible les environs en gardant en tête le mimétisme bien poussé de certaines espèces (#Botryechis), au final il y a de quoi s’arracher les cheveux.
Heureusement pour moi il y a des espèces assez mobiles et qui aiment bien se poser sur des bons supports, comme des branches/bûches au sol. C’est le cas des Enyolioides, deux voisins des Iguanes représentés par deux espèces ici : Enyioilides heterolepis et oshaughnessyi. Ceux-ci, sans être fréquents, sont plutôt courants sur le site, en particulier heterolepis, que je croise plusieurs fois pendant mon séjour.
De l’autre côté, dans le genre pas facile à trouver, il y a le genre des Anolis. Ces lézards sont des casse-têtes herpétologiques à tous seuls : Arboricoles jusqu’à plusieurs dizaines de mètres et d’une taille de 20-25 cm, bonjour le challenge pour les trouver. D’après Christophe, les herpétos équatoriens qui viennent ici ont l’œil et peuvent en repérer un à 15 m de haut dans la canopée. De mon côté, sur les 9 espèces connues ici, je me contenterai de 2 : Anolis perraccae, très commun et souvent proches de maisons et Anolis lyra, lui aussi assez commun, qui se fera prendre dans un des seaux contrôlés tous les jours.
Pour ce qui est des serpents, on est sur 23 espèces connues (12 en France) qui vont du Boa jusqu’au Corail en passant par deux vipères emblématiques : le Fer-de-lance et la Botryechis shlegelii, (une vipère arboricole tour à tour verte, marron ou jaune). De ces 23, j’en débusque 4 malgré mes efforts : 3 couleuvres et Bothrops asper, le fameux Fer-de-lance.
Plus précisément, c’est le Fer-de-lance centro-américain (cousin de Brothrops atrox, le Fer-de-lance commun, vu au Pérou). Ce dernier est un des serpents les plus venimeux du monde mais aussi une espèce assez commune qui traine près de l’homme, dans les plantations de bananiers par exemple. Cette proximité en fait le serpent responsable du plus grand nombre de morts en Amérique latine mais tout en restant laargement en dessous de ce que causent les moustiques.
Au Jardin de Los Sueños, je croise la bête tous les deux jours, généralement posé au même endroit et placide comme un paresseux à l’heure de la sieste. Le fait qu’un humain de deux mètres (ceux observés font dans les 50 cm, les adultes montent à 2m) passe à côté l’indiffère complètement et il faut l’attraper pour qu’il daigne mollement se bouger, le tout sans aucune agressivité, contrairement à certaines couleuvres inoffensives…
Petite parenthèse sur la manipulation d’une espèce de serpent mortelle. 1. Je ne fais pas ça pour le plaisir ou le frisson d’avoir une bestiole mortelle dans les mains mais pour le déplacer s’il se trouve au milieu d’un chemin ou autre situation pouvant présenter un danger/dérangement pour la bête ou bien l’homme. 2. Cette cascade est réalisée par un professionnel qui a été formée et avec tout le matos adapté soit le gant assez épais et le crochet à serpent.
Mais mon rêve du moment (j’en change toutes les 3 semaines en ce moment), la Botryechys shlegelii reste introuvable, malgré les prospections de jour et de nuit (à la lampe frontale). J’ai beau balayer chaque cm² de l’espace qui m‘entoure, rien à faire, la bestiole est d’un mimétisme à toute épreuve…
Au final, j’aurai observé 11 espèces de reptiles pendant mon mois, 4 de serpents et 7 de Lézards, moins que ce que prévu mais ça reste un joli gavage.
Et le reste alors ?
Si les reptiles étaient le groupe prioritaire, on va pas non plus cracher sur les amphibiens et oiseaux, tout aussi voire plus nombreux, et si il reste encore du boulot d’identification le bilan se chiffre en dizaines d’espèces.
Chez les amphibiens, la star du site et le symbole choisi par Christophe, c’est Pristimantis ornatissimus, une petite grenouille nocturne des plus faciles à observer, pile à hauteur de la terrasse de la maison commune. Mais avec les prospections nocturnes à la frontale, on atteint la dizaine d’espèce entre grenouilles terrestres, gros crapauds proches et maisons et grenouilles de cristal près des ruisseaux.
Pour les oiseaux, il est tout aussi facile de les observer depuis la maison des bénévoles : la terrasse domine les environs et entre les mangeoires à bananes proches et les lisières environnantes, on peut facilement passer une après-midi de weekend à observer des dizaines d’espèces.
Entre ces sessions et les incursions dans la réserve, le bilan tourne autour des 80 espèces, dont 3 de Toucans et 4 de Colibris.
Exaspération et compréhension
Si le cadre est paradisiaque, l’ambiance n’est pas géniale et ma motivation au top en arrivant baisse chaque semaine. L’attitude d’un des collègues loin d’être un foudre de guerre, voire même je-m’en-foutiste, exaspère Christophe et ça retombe sur tout le monde via des règles de colonie de vacances et à 28 ans ça me gonfle un peu de revenir au primaire…
Du coup après 3 semaines, mon moral est au plus bas. Pour changer d’air je pars 5 jours sur la côte car, à la différence des autres (volontaires via une boite spécialisée) je n’ai pas de contrainte de temps et d’heures de bénévolat, je peux donc me faire un weekend de 5 jours sans soucis. Je pars à Canoa sur la côté en ce weekend d’élections présidentielles françaises (1°tour). Je renoue avec la route et les hostel en ce petit village assez touristique mais néanmoins tranquille et reposant, idéal pour reprendre du poil de la bête. Côté nature, ça ne sera pas très productif mais je profite de l’ambiance au bar de l’hostel, teste le surf, parle politique avec un irlandaise et 2 américains et reste collé à mon écran tout l’aprèm du dimanche pour finir par surfer dans la foulée des résultats du premier tour. C’est aussi l’occasion de quelques sessions Skype/WhatsApp avec famille et potes, chose difficile avec un emploi du temps et 8h de décalage horaire. Je parle du bénévolat, de ma fatigue morale, des résultats des élections, de l’ambiance en Europe, je vide mon sac et ça fait du bien, ce qui permettra peut-être la clarification à venir.
Mais de retour au Jardin, j’appréhende un peu. Après ces 5 jours à la plage, revenir au boulot ne m’enthousiasme pas des masses. En revoyant Christophe, j’en arrive je ne sais trop comment à vider mon sac, mon impression d’être un gosse de 5 ans, ma motivation érodée, etc… De son côté, il m’expose son point de vue : pour lui je suis là pour faire de l’herpéto à 100% (ou presque) et en me voyant participer aux taches plus courantes avec les collègues, il a supposé que je n’étais pas si motivé que ça et je suis devenu un poids plus qu’autre chose, puisque si il reçoit de l’argent pour accueillir Mahim et William, je suis là sur recommandation.
En cet instant, je me sens très con, ça fait 3 semaines que je suis là, que mon moral et ma motivation s’érodent, que je voudrai passer mon temps à chercher de la bestiole alors que c’est exactement ce qui est attendu de moi, une conversation similaire3 semaines avant m’aurait épargné quelques prises de tête et crises d’anxiété au petit matin…
Dernière ligne droite à fond la caisse
Libéré de ce poids sur le cœur, je laisse mes collègues au potager et au lodge des projets 100% nature. Au programme de cette dernière semaine, construction de nichoirs et prospections herpétos intensives.
Remotivé, je ne compte pas les heures et dépasse allègrement les horaires de jour comme de nuit pour les prospections nocturnes, ça ne me permet pas plus d’observer Botryechis shlegelii mais ça fait du bien. Je finis même par rester jusqu’au lundi suivant pour poser quelques-uns des nichoirs construits près du nouvel affut tout juste construit dans la réserve.
Le lundi soir je rassemble mes affaires éparpillées pendant un mois et je profite que Christophe aille à la ville le mardi pour qu’il me dépose à la route. Fin de l’expérience, elle aura été mitigée, avec un petit goût d’inachevé mais globalement positive. Je me sens juste toujours bien con de ne pas avoir clarifié la situation dès le début, ce qui aurait permis de garder ma motivation intacte et trouver plus de bêtes.
Mais j’oublie vite tout ça alors que Christophe me dépose et la pluie commence à tomber. Ce matin au petit déj, je reprends du goudron, un nouveau gueuleton de bornes commence et à un peu plus d’un mois du retour en France, les affaires reprennent.
En pratique :
Jardin de le Sueños : http://www.jardin-de-los-suenos.com/
A Canoa, l’Hostal Coco Loco est une adresse parfait pour backpackers. L’ambiance est bonne et le staff aimable et accueillant. Si vous cherchez du calme c’est le bon endroit, sauf en cas de soirée beer pong, ce qui n’arrive pas tous les jours. 6$ la nuit de base avec bar et petit déj de compèt et location de surf (10$ la journée).
Reptiles observées :
Ameiva edracantha
Ameiva septmlineata
Anolis lyra
Anolis peraccae
Enyalioides heterolepis
Enyalioides oshaughnessyi
Lepidoblepharis sp
Bothrops asper
Dipsas andiana
Sibon nebulatus
Dendrophidion clarkii